6. Etat dentaire et médicaments écrasés

Il est inutile de donner des médicaments écrasés aux patients qui n'ont pas de troubles de la déglutition. 
Une mauvaise santé dentaire n'est pas une indication pour écraser les médicaments : on ne mâche pas les médicaments.

Journal of Nursing Home Research Sciences 2019;5:1-4

 

Contexte

Les personnes âgées dépendantes ont souvent une alimentation à texture molle ou mixée, à cause d’un mauvais état dentaire ou de troubles de la déglutition (dysphagie). En cas de troubles de la déglutition ou de troubles cognitifs, il faut aussi écraser les comprimés et d’ouvrir les gélules car il existe un risque d’étouffement, potentiellement mortel. Les médicaments écrasés sont ensuite mélangés aux aliments ou à des boissons épaissies, et les soignants les donnent à la cuillère. Cependant, de nombreux médicaments ne doivent pas être écrasés et les médicaments écrasés doivent théoriquement être administrés séparément. En pratique, il n’est pas toujours facile de suivre ces recommandations. De plus, beaucoup de médicaments écrasés ont un goût amer, ce qui peut entraîner un refus du médicament et couper l’appétit. Enfin, de nombreux médicaments ont un effet antimicrobien intrinsèque, et pourraient contribuer à déséquilibrer le biofilm qui protège la bouche. Pour toutes ces raisons, il faut autant que possible éviter de donner des médicaments écrasés aux personnes âgées et aux malades polymédiqués.

De plus, les comprimés et les gélules n’ont pas besoin d’être mâchés avant d’être avalés, et certains patients ont un mauvais état dentaire sans avoir de problèmes de déglutition.

Objectif

L’objectif de ce travail était de vérifier si certains résidents d’EHPAD sans trouble de la déglutition reçoivent inutilement des médicaments écrasés, simplement parce qu’on leur donne des aliments mous et mixés.  

Population étudiée et méthode

Cette étude a été réalisée dans un hôpital privé gériatrique à Nice. Le projet a été validé par le Comité d’éthique de l’établissement. Pour cette étude pilote, le médecin responsable du service gériatrique a inclus les 46 patients d’une unité de soins en long séjour. Il n’y avait pas de critères d’inclusion, parce qu’il s’agissait d’une étude observationnelle sur les habitudes de distribution des repas en salle à manger et de délivrance des médicaments. Les données médicales ont été extraites anonymement des dossiers médicaux des patients. Sur 46 résidents, sept ont été exclus parce qu’il était impossible de réaliser un examen bucco-dentaire.

Quatre critères principaux ont été évalués : 1) médicaments écrasés, 2) troubles de la déglutition, 3) troubles cognitifs et 4) alimentation molle ou mixée (« oui » ou « non »). Les autres données ont été recueillies dans le dossier  des résidents. Les infirmières relevaient régulièrement certaines données bucco-dentaires: nombre de brossages quotidiens des dents ou soins de bouche, utilisation régulière de bains de bouche antiseptiques, dépôts microbiens visibles dans la bouche, douleur dentaire, port d’une ou deux prothèses amovibles. L’orthophoniste faisait le bilan des troubles de la déglutition et la diététicienne faisait le bilan des difficultés pour mastiquer. L’alimentation était supervisée par la diététicienne qui travaillait avec les cuisiniers de l’établissement.

Dans le cadre de cette étude, le chirurgien-dentiste a relevé en plus les symptômes de parodontite, de sécheresse buccale, de candidose orale, l’indice DMFT (dents cariées, manquantes, obturées), les patients ayant besoin d’un détartrage, d’un soin de carie, d’extractions dentaires ou de nouvelles prothèses amovibles. Il a aussi calculé le coefficient masticatoire (en %).

Résultats

Trente-neuf résidents ont été inclus dans cette étude des pratiques en EHPAD : principalement des femmes (28/39); âge moyen 86,8 +/-7,7 ans; Groupe Iso-Ressource (GIR) 1,7 +/- 0,6; Mini Mental State (MMS) 16,5 +/- 6,0; médicaments écrasés 26/38 (68,4 %); troubles de la déglutition 14/39 (35,89 %); aliments mous et mixés 25/38 (65,8 %). La prise de médicaments écrasés était associée à la prise d’aliments mous et mixés (P = 0,001), au sexe masculin (P = 0,008) et à un coefficient masticatoire plus faibles (P = 0,015), mais pas aux troubles de la déglutition (P = 1). Dix-sept patients (17/39 : 43,6 %) n’ayant pas de troubles de la déglutition ont reçu des médicaments écrasés.

Conclusion

Une mauvaise santé dentaire est souvent, mais pas systématiquement liée à des troubles de déglutition. C'est pourquoi la prise d'aliments mous et mixés n'implique pas nécessairement d'écraser les médicaments : les comprimés et les gélules ne doivent pas être mâchés avant d’être avalés.

Référence

Pasqualini S, Barisic AM, Serris M, Rio C, Prêcheur I. Poor dental health and crushed drugs for older adults living in institution. Journal of Nursing Home Research Sciences 2019;5:1-4.