Pour améliorer la santé bucco-dentaire des personnes âgées dépendantes : améliorer aussi la santé bucco-dentaire des soignants en charge des soins de bouche.
La Revue de Gériatrie 2021;46:489-498.
Contexte
Les personnes âgées dépendantes présentent souvent des dépôts microbiens visibles à l’œil nu sur la langue et les dents, qui peuvent recouvrir aussi les gencives et les muqueuses buccales. En parallèle, l’état dentaire est souvent très dégradé, avec de nombreuses dents mobiles ou cariées, à l’état de racine, et des prothèses dentaires sales et inadaptées. Les risques sont connus : douleurs et perte esthétique, dépression, pneumonies d’inhalation, perte d’appétit, dénutrition avec augmentation du risque de chute, de fracture, d’infection, etc. Pour améliorer cette situation, il est recommandé de faciliter l’accès aux soins dentaires, d’augmenter le temps consacré à l’hygiène buccale et de renforcer la formation des personnes en charge des soins de bouche.
En pratique, ces recommandations sont inapplicables pour de multiples raisons : manque de coopération du patient, troubles cognitifs, handicap, polypathologies et polymédication, hyposialie sévère, manque de supports anatomiques pour réaliser des prothèses dentaires, etc. Et il est souvent difficile de trouver des chirurgiens-dentistes disponibles et équipés pour recevoir des patients âgés dépendants.
La principale doléance des soignants est le manque de temps pour réaliser des soins dentaires, sans perspective d’amélioration.
Mais il existe aussi des blocages pour réaliser les soins d’hygiène buccale, avec un dégoût pour cette tâche difficile à réaliser, et qui doit être sans cesse recommencée avec un résultat généralement décevant. De nombreux soignants admettent préférer changer une protection souillée plutôt que faire un soin de bouche, qui est souvent considéré comme une effraction avec une symbolique forte. D’un point de vue matériel, l’absence de masques de protection et le manque d’éclairage ne facilitent pas la réalisation des soins de bouche. Il existe aussi des blocages pour demander des soins dentaires. "Le dentiste ça fait peur, ça fait mal et ça coûte cher" et "On n’en meurt pas d’avoir des dents malades ou de perdre ses dents" : il n’est pas rare que des soignants projettent leurs propres craintes et préjugés sur leurs patients. Dans le déni ou le renoncement, ils tolèrent des foyers infectieux et des douleurs, qui seraient inacceptables dans une autre discipline médicale. Enfin, l’hygiène et la santé bucco-dentaire sont globalement liées au niveau socio-culturel et socio-économique. Cela s’applique aussi aux soignants. Il existe un plafond de verre : il n’est pas possible de demander à un soignant de faire mieux pour ses patients que ce qu’il fait pour lui-même.
Face à ce constat, comment motiver les soignants pour améliorer l’hygiène et la santé bucco-dentaire de leurs patients âgés et dépendants ?
Que faire ? Un axe simple serait d’encourager les soignants à aller consulter leur propre chirurgien-dentiste une fois par an. Cela est conforme aux recommandations du ministère de la santé, qui préconise un examen de prévention bucco-dentaire annuel pour tous les adultes. Ce suivi permet d’accepter sa propre bouche, de bien s’en occuper, de connaître le coût d’une consultation (23 €), d’un soin de carie (à partir de 19,28 €) et la satisfaction d’un détartrage avec polissage des dents (28,92 €), de vérifier par soi-même que ces soins de base ne sont pas douloureux et qu’ils sont remboursés par l’Assurance maladie et la mutuelle. C’est aussi une excellente formation à la réalisation des soins d’hygiène buccale, avec la possibilité d’un échange de questions-réponses avec son chirurgien-dentiste.
Comment dire aux soignants "Allez consulter votre chirurgien-dentiste au moins une fois par an" ? Il s’agit essentiellement de communication. Il y a peu de surcoûts pour les établissements (affiches dans les salles de repos, courriers internes, emails) et aucun surcoût pour l’Assurance maladie, puisqu’il s’agit d’appliquer les recommandations nationales. Les médecins du travail, l’Ordre des infirmiers, les Unions régionales des professionnels de santé (URPS) pour les infirmiers pourraient aider à relayer cette recommandation du ministère de la santé. Cette action pourrait être concertée avec les Agences régionales de santé (ARS), l’Ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes, l’Union française pour la santé bucco-dentaire, les mutuelles, etc.
Conclusion
Encourager les aidants et les soignants à bien ou mieux prendre en charge leur propre santé bucco-dentaire est une approche originale pour améliorer l’hygiène et la santé bucco-dentaire des personnes âgées dépendantes. Ce modèle a déjà été validé pour la mère et l’enfant.
Référence